RDC : Matata Ponyo condamné à 10 ans de travaux forcés dans l’affaire Bukanga Lonzo

RDC : Matata Ponyo condamné à 10 ans de travaux forcés dans l’affaire Bukanga Lonzo

Kinshasa, 20 mai 2025 – La Cour constitutionnelle de la République démocratique du Congo (RDC) a rendu ce mardi son verdict dans l’affaire du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, condamnant l’ancien Premier ministre Augustin Matata Ponyo à 10 ans de travaux forcés pour détournement présumé de fonds publics. La décision, largement médiatisée, marque un tournant dans ce dossier judiciaire qui secoue la scène politique congolaise depuis plusieurs années.

Augustin Matata Ponyo, Premier ministre sous Joseph Kabila de 2012 à 2016, était poursuivi pour le détournement de 204 millions de dollars alloués au projet pilote du parc agro-industriel de Bukanga Lonzo, dans la province du Bandundu. Selon l’acte d’accusation, seuls 34 millions de dollars auraient été justifiés, laissant un déficit de 170 millions de dollars. Avec lui, l’ancien gouverneur de la Banque centrale du Congo, Deogratias Mutombo, et l’homme d’affaires sud-africain Kristo Goebler, responsable de la société Africom, étaient également dans le viseur de la justice.

La Cour a également ordonné la saisie des biens de Matata Ponyo, une mesure qui accentue la sévérité du verdict. Lors de l’audience du 23 avril 2025, le ministère public avait requis 20 ans de travaux forcés contre l’ancien chef du gouvernement, assortis d’une inéligibilité de 10 ans, ainsi que des peines similaires pour ses coaccusés. La condamnation à 10 ans, bien que moins lourde que la réquisition initiale, reste une sanction significative

Ce verdict intervient après un procès marqué par des tensions et des accusations de politisation. Matata Ponyo, devenu député national en 2023 et président du parti Leadership et Gouvernance pour le Développement (LGD), a dénoncé à plusieurs reprises un « acharnement politique » destiné à l’écarter de la scène politique. Il a notamment refusé de comparaître aux dernières audiences, invoquant ses immunités parlementaires et la position de l’Assemblée nationale, qui jugeait les poursuites inconstitutionnelles.

La Cour constitutionnelle, présidée par Dieudonné Kamuleta, a rejeté ces arguments, affirmant que les poursuites, engagées dès 2022, précédaient l’élection de Matata Ponyo comme député. « L’immunité protège la fonction et non la personne », a déclaré la Cour, soulignant que les faits reprochés remontent à une période antérieure à son mandat parlementaire.

Les avocats de Matata Ponyo, dont Me Laurent Onyemba, ont qualifié la décision d’« inique » et « déconnectée de la vérité du procès ». Ils dénoncent une « fabrication de chiffres et de faits » et affirment que leur client a été jugé par défaut dans des conditions contraires aux règles de droit.

Ce verdict suscite de vives réactions dans un contexte politique déjà tendu en RDC. Matata Ponyo, figure de l’opposition et ancien candidat à la présidentielle de 2023, où il s’était désisté en faveur de Moïse Katumbi, reste une personnalité influente. Ses partisans y voient une tentative du pouvoir en place, sous la présidence de Félix Tshisekedi, d’éliminer un adversaire potentiel en vue des prochaines échéances électorales.

Des analystes soulignent que cette condamnation pourrait exacerber les tensions entre le pouvoir et l’opposition, dans un pays où la justice est souvent accusée d’être instrumentalisée. Le président de la Cour constitutionnelle a toutefois défendu l’indépendance du pouvoir judiciaire, invoquant l’article 151 de la Constitution pour rappeler que « nul ne saurait remettre en cause » cette indépendance.

L’affaire Bukanga Lonzo, lancée sous l’administration Kabila comme un projet ambitieux pour relancer l’agriculture congolaise, est devenue un symbole des défis de gouvernance en RDC. Les accusations de détournement, révélées par l’Inspection générale des finances (IGF) en 2020, ont mis en lumière des dysfonctionnements dans la gestion des fonds publics. Matata Ponyo, qui se présente comme un réformateur économique ayant stabilisé l’inflation et favorisé une croissance de 7,7 % durant son mandat, rejette toute responsabilité dans cette débâcle

Alors que la RDC fait face à des défis sécuritaires et économiques persistants, cette condamnation risque de raviver les débats sur la transparence et la lutte contre la corruption. Pour l’heure, Matata Ponyo et ses avocats envisagent de faire appel ou de saisir des instances internationales, tandis que ses soutiens appellent à une mobilisation pour dénoncer ce qu’ils qualifient de « justice sélective ».

Zola NKOSI, L’INTERVIEW.CD