Félix Tshisekedi va-t-il franchir sa ligne rouge : l’Angola annonce des négociations directes entre Kinshasa et le M23

Kinshasa, le 12 mars 2025 – Dans un communiqué publié mardi 11 mars au soir, la présidence angolaise a bouleversé la donne dans le conflit qui ravage l’est de la République Démocratique du Congo (RDC). En sa qualité de médiateur désigné par l’Union africaine, l’Angola a annoncé la mise en place imminente de « négociations directes » entre le gouvernement de Kinshasa et le mouvement rebelle M23, avec pour objectif une « paix définitive ». Cette initiative, qui doit se concrétiser dans les prochains jours à Luanda, marque un virage inattendu alors que Félix Tshisekedi a toujours catégoriquement refusé de dialoguer avec ce groupe armé, qu’il qualifie de « terroriste » et d’instrument du Rwanda.
« La partie angolaise, en tant que médiatrice dans le conflit qui affecte l’est de la RDC, prendra des contacts avec le M23 afin que les délégations de la RDC et du M23 puissent mener des négociations directes qui se tiendront à Luanda dans les prochains jours », précise le communiqué angolais, publié à l’issue d’une rencontre entre le président João Lourenço et son homologue congolais, Félix Tshisekedi.
Cette déclaration intervient dans un contexte de crise humanitaire sans précédent, avec plus de 7 millions de déplacés internes, et alors que le M23, fort de ses récentes conquêtes dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, accentue la pression sur le gouvernement congolais.
Depuis son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi a fait de l’intransigeance face au M23 un pilier de sa politique sécuritaire, privilégiant une réponse militaire soutenue par la MONUSCO et des forces régionales comme la SADC. Kinshasa a systématiquement rejeté toute idée de pourparlers directs, pointant du doigt le Rwanda comme le véritable instigateur du conflit. Des rapports d’experts de l’ONU ont d’ailleurs corroboré ces accusations, estimant que 3 000 à 4 000 soldats rwandais appuient les rebelles. Pourtant, la proposition angolaise semble indiquer un infléchissement, au moins tactique, de cette position.
La réaction officielle de Kinshasa reste prudente. Tina Salama, porte-parole du président Tshisekedi, a déclaré sur X : « Nous prenons acte des initiatives annoncées par la présidence angolaise et attendons de voir la mise en œuvre de cette démarche. » Aucune mention explicite d’un accord sur des négociations directes avec le M23 n’a été faite, laissant planer le doute sur l’adhésion réelle de Tshisekedi à ce processus.
L’Angola, sous la houlette de João Lourenço, s’impose depuis 2022 comme un acteur clé dans la recherche d’une solution au conflit congolais. Après avoir tenté, sans succès durable, de rapprocher Kinshasa et Kigali – notamment via un cessez-le-feu signé en juillet 2024, vite rompu –, Luanda change de stratégie en intégrant directement le M23 dans les discussions. Ce choix pourrait refléter une prise de conscience : sans impliquer les rebelles, aucun règlement durable ne parait possible. Mais il expose aussi Félix Tshisekedi à un dilemme politique majeur.
Accepter de négocier avec le M23 risque de fragiliser sa crédibilité auprès d’une population excédée par des décennies de violences. « C’est une ligne rouge qu’il ne peut pas franchir sans conséquences », estime Marie Kabila, analyste politique à Goma. À l’inverse, persister dans le refus pourrait compromettre les efforts régionaux et isoler davantage la RDC sur la scène internationale.
Alors que le sommet de la Communauté des États d’Afrique de l’Est (EAC) approche, les prochains jours seront décisifs. La déclaration angolaise place Félix Tshisekedi devant un choix cornélien : franchir sa ligne rouge pour tenter de désamorcer une crise qui échappe à tout contrôle, ou maintenir sa fermeté au risque d’un enlisement militaire et humanitaire. Dans l’est du pays, où Goma reste sous la menace constante du M23, la population attend des réponses concrètes, lassée des promesses et des combats sans fin.
Zola NKOSI, L’INTERVIEW.CD